20 décembre 2017 : Petit déjeuner du Club de l’Audace avec Yves MILLARDET, Président du Directoire de l’Agence France Locale

« L’AFL a été notée dès son premier jour d’existence un cran au-dessus de la meilleure banque française »
Le Club de l’Audace a convié en décembre dernier le président de l’Agence France Locale, première banque en ligne exclusivement dédiée aux collectivités territoriales. Avant de présenter le fruit de plusieurs années d’acharnement,  Yves Millardet est revenu sur le parcours qui l’a mené à s’intéresser de près au financement de ces collectivités.

« C’est presque le projet d’une vie ! ». Ce projet, c’est le pari un peu fou que s’est lancé Yves Millardet de créer une banque ex nihilo, sur un modèle qui n’existait pas encore en France, importé de l’étranger. Pour comprendre comment le président de l’AFL a fait de ce pari une réussite, il faut revenir sur son parcours, qui ne le prédestinait en rien à embrasser le monde du financement des collectivités locales. « A vrai dire, je suis tombé dedans complètement par hasard, après une maîtrise en droit public, il y a bien longtemps », s’amuse Yves Millardet. Alors étudiant à Bordeaux, il choisit le DESS dans lequel il y a « le moins d’heures de cours » : ce sera la gestion administrative publique appliquée aux collectivités locales, un diplôme qu’il passe en même temps qu’il fait son service militaire. Son diplôme en poche,  il devient chargé d’audit dans un cabinet de conseil, puis, brièvement, contrôleur de gestion de la ville d’Amiens, avant d’intégrer le monde du conseil financier en 1993. Trois ans plus tard, alors qu’il n’a de connaissances en finances que celles apprises sur le tas, il est recruté par la Caisse des dépôts : « d’un seul coup, j’ai été parachuté dans une salle des marchés, au milieu d’experts de la finance, à être responsable du financement des collectivités locales sur le marché obligataire ! ».  

Il s’occupe d’opérations en France et dans plusieurs pays européens, ce qui lui permet d’acquérir une vision globale de la façon dont les autres pays financent leurs collectivités locales. « J’ai commencé à m’intéresser au modèle scandinave lorsque j’ai travaillé sur une opération de financement d’un pont entre Malmö (Suède) et Copenhague (Danemark), sur laquelle la Caisse dépôts avait été mandatée », se remémore Yves Millardet. « Déjà, à cette époque, j’ai expliqué un peu partout qu’il fallait s’inspirer de leur modèle, mais je n’étais pas très écouté, à part par quelques fidèles amis, se souvient-il,  notamment Olivier Landel, à l’époque délégué général de l’association des communautés urbaines de France et aujourd’hui directeur général de la holding du groupe AFL ». Il faut alors attendre quelques années pour que son idée se fraie un chemin.

En 2001, il rejoint ABN AMRO et devient responsable des activités du secteur public, tout en continuant à œuvrer pour les collectivités locales. En 2004, il dirige sa première opération obligataire qui va grouper plusieurs collectivités locales. En effet, l’Etat vient de décider de retirer ses subventions au financement des transports en commun en site propre, et songe à les remplacer par des prêts bodifiés de la Caisse des dépôts. C’est là qu’Yves Millardet se révèle : « Je suis allé convaincre l’Association des communautés urbaines de France qu’elle devrait peut-être regarder d’autres types de financement ». On lui confie l’opération : une dette est alors levée pour une dizaine de communes urbaines. « C’est à ce moment que les collectivités ont commencé à comprendre qu’elles pouvaient faire des choses ensemble, et s’en remettre à des investisseurs différents ». Le même genre d’opération est réitéré en 2008, après la faillite de Lehman Brothers, et alors que plus aucune banque ne peut accéder aux marchés financiers. L’Etat demande à la Caisse des dépôts d’assurer la ligne des liquidités, et, cette fois, plus de 40 collectivités locales sont associées à un projet d’emprunt obligataire groupé de 250 millions d’euros. Elles prennent alors pleinement conscience de la nécessité d’aller plus loin.

Un levier de plus pour Yves Millardet, qui continue de cogiter avant de pouvoir passer à l’acte : l’établissement qu’il imagine regroupera les collectivités et sera calqué sur un modèle préexistant, afin de donner confiance aux investisseurs. Il  faut désormais trouver une structure, créer une association pour porter politiquement le dossier. En parallèle, l’Association des maires de France s’intéresse au projet et finit par le porter. En 2009, l’AMF crée donc l’Association d’études pour l’agence des financements des collectivités locales, accompagnée d’une procédure de « dialogue compétitif » pour déterminer quel serait le meilleur financement pour les collectivités.  70 collectivités vont aider au financement de l’étude. Un groupement d’experts, parmi lesquels Natixis, HSBC et EY, est mandaté pour conseiller l’AMF. L’étude finale, présentée à l’Etat, fait face à deux types de réceptions : la direction générale des collectivités locales est inquiète, mais elle voit le projet d’un œil positif. Une partie du Ministère lui est en revanche hostile. La bataille politique dure jusqu’en 2012. François Hollande, devenu président, nomme alors comme premier ministre l’ancien président de la communauté urbaine de Nantes, qui figurait dans toutes les opérations obligataires depuis 2004, et qui connaît parfaitement le projet. Les jeux sont faits : le dossier est arbitré positivement à l’occasion du congrès des maires fin 2012. L’autorisation est donnée pour créer un établissement du crédit.

L’agence France Locale, un parfum de Scandinavie
11 collectivités se réunissent pour donner naissance à l’AFL, créée juridiquement en décembre 2013, avec Yves Millardet à la tête de l’établissement de crédit. L’agrément se fait en 13 mois. « Du coup on a très très peu dormi en 2014, plaisante Yves Millardet, le rapport faisait tout de même 1600 pages !  ». En janvier 2015, la banque est dans les starting blocks. Quelques semaines plus tard, elle lance sa première transaction benchmark. « C’est une journée que beaucoup n’oublieront pas ! On a vu les ordres défiler : en une heure, on avait déjà atteint les 900 millions ». Le carnet d’ordre représentera finalement plus de 1.3 milliard d’euros à sa clôture, dont 75% provenant d’investisseurs étrangers. En 2015, l’AFL prêtera plus de 500 millions d’euros, et conclura 88 contrats de crédit.

A côté de ses débuts fulgurants, l’AFL veut affirmer sa singularité. « Il était impossible et surtout pas souhaitable que des élus locaux deviennent des banquiers », assure Yves Millardet. Quand une collectivité entre dans l’Agence France Locale, elle devient donc actionnaire. Un modèle inspiré des pays d’Europe du Nord, dont les agences de financement ont traversé toutes les crises. Plus précisément, l’AFL est une société avec deux entités. La société Agence France Locale – Société Territoriale, avec son conseil d’administration composé d’élus, dont le président depuis juin est Jacques Pélissard, ancien président de l’AMF. Et à côté, deuxième entité (détenue par la précédente),  l’Agence France Locale : la banque. Au total : 24 salariés et quelques alternants, bref, une petite structure.

L’AFL se veut une « plateforme online » aux dires de son président ; la première agence de financement en ligne exclusivement dédiée aux collectivités. « Elle a été notée dès le premier jour un cran en-dessous de l’Etat français, et un cran au-dessus de la meilleure banque française », se félicite Yves Millardet.  L’établissement fonctionne selon un système de capitalisation. « Les collectivités paient pour entrer à l’AFL  0.8% de leur stock total de dette. Elles peuvent payer en plusieurs fois », affirme le président de l’AFL. Lorsque la collectivité demande du crédit, elle émet en même temps une garantie à destination des investisseurs qui prêtent à l’Agence Française, forme de sécurité pour les créanciers. Mais le système français est contraignant, et les plafonds de garantie font que seule une partie crédit est garantie : « il a donc fallu créer une autre garantie apportée par la maison-mère », précise Yves Millardet.  Par ailleurs, comme les banques classiques, l’AFL se doit de connaître ses clients et de les noter. Elle a donc créé un système de notation de 1 à 7 sur la base des informations concernant le budget de chaque collectivité, afin de s’attirer la confiance des marchés. « Forcément, certaines collectivités sont plus en difficulté que d’autres. Or, cela va sans dire, on prête plus et moins cher aux meilleures ! ». Aujourd’hui, l’AFL semble tout avoir de la « success story ».  Au premier semestre 2017, l’établissement a franchi la barre du 250ème prêt octroyé, portant la production de crédit depuis l’origine à 1 229,2 millions d’euros  au 30 juin 2017.

Bérengère Margaritelli

A propos d’Yves Millardet

Né le 24 août 1964, Yves Millardet est titulaire d’un DESS de gestion administrative appliquée aux collectivités locales et d’un mastère spécialisé dans le management des organisations publiques. Il est nommé « senior banker » (banquier conseil) chez Natixis, responsable Europe de la relation avec les clientèles secteur public local et agences. Plus tard, il devient Directeur Général délégué de l’AFL (Agence France Local-société territoriale), créée en décembre 2013. Cette entreprise vise à diversifier l’accès au crédit des collectivités locales, à l’heure où les banques ne répondent plus suffisamment aux besoins. L’établissement a pour but de lever des fonds sur les marchés, via l’émission de titres obligataires, en vue de redistribuer des prêts aux collectivités. C’est au terme d’un combat de plusieurs années que les collectivités locales françaises ont enfin pu se doter de leur propre outil de financement et gagner en autonomie en recréant une offre supérieure à la demande, afin de ne plus se retrouver dans la situation d’assèchement du crédit des années 2011 et 2012. La création de l’AFL marque un jour historique dans l’histoire de la décentralisation. Depuis sa création, la banque complètement contrôlée, destinée et possédée par les collectivités locales confirme sa montée en puissance avec au moins 2 milliards d’euros de prêts octroyés à celles-ci depuis son début d’activité.