18 juin 2019 : petit déjeuner avec Jean KASPAR, Ancien Secrétaire général de la CFDT

Jean KASPAR aime citer Teilhard de CHARDIN pour nous rappeler que la vie est un mouvement permanent : « Rien n’est achevé, tout reste à construire ». Dans ce contexte, l’Audace prend tout son sens. Elle est la capacité à prendre des risques, à penser différemment en sortant du cadre. Elle nous permet de nous élever en permanence. Pour cela, chacun d’entre nous doit apprendre à construire des passerelles, à laisser de côté ses préjugés et à développer une culture du compromis.

Jean KASPAR regrette le manque d’innovation dont font preuve les entreprises françaises en matière de relations sociales. Il met en avant le fait que l’on a toujours besoin de la loi pour faire évoluer les choses. En Allemagne et dans les pays scandinaves, les choses sont bien différentes dans la mesure où l’innovation vient la plupart du temps du dialogue entre les différents experts.

Penser les relations sociales de demain ne peut se faire que si l’on s’inscrit dans la mondialisation afin de prendre en compte deux éléments fondamentaux que sont la diversité des cultures et la globalisation de l’économie. La France est un « petit » pays et nous avons tendance à être prisonniers de notre propre histoire. Cette attitude nous empêche de voir loin au moment même où nous avons besoin de faire émerger un nouveau contrat social. Ce contrat doit prendre en compte un besoin de flexibilité, de personnalisation et de diversité des parcours. Il doit conjuguer le « je » et le « nous », autrement dit conjuguer les besoins individuels avec les besoins de solidarité et de protection qui relèvent nécessairement du collectif. Nous devons travailler à améliorer la notion de compromis, autrement dit notre capacité à vivre ensemble. Sans compromis, il ne peut pas y avoir de véritables relations sociales selon Jean KASPAR.

L’entreprise étant un lieu au sein duquel des logiques multiples cohabitent (économique, sociale, financière), la recherche du juste équilibre est un impératif. Ce juste équilibre concerne notamment l’innovation qui ne peut se limiter aux produits ou à la finance. L’innovation doit aussi être sociale et le DRH ne doit pas être le seul collaborateur qui a pour mission de réinventer les relations sociales et d’imaginer un nouveau mode de management qui valorise au moins autant le savoir être que les savoirs faire. De même les représentants du personnel ne doivent plus être les seuls en charge de la gestion de la négociation sociale. Le dialogue social est plus que jamais l’affaire de l’ensemble des collaborateurs. Quand la direction d’une entreprise engage des négociations, elle se doit de donner à l’ensemble des managers des informations sur les enjeux ainsi que sur les orientations qui sont prises et les choix qui sont faits. Dès lors qu’ils recevront ces informations et qu’ils seront formés à la régulation sociale, les managers pourront associer leurs collaborateurs aux processus de négociation. Un groupe de travail pourra être constitué, sans se limiter aux seuls représentants du personnel dont la légitimité repose uniquement sur la loi et l’élection. La diversité des membres du groupe sera un facteur clé de succès qui contribuera à accélérer la transformation de l’entreprise.

En matière de relations sociales, il convient également de réfléchir à la notion d’évaluation afin de pouvoir faire un bilan des actions qui sont mises en œuvre et d’imaginer les correctifs à apporter. Comme dans tous les domaines de l’entreprise, il apparait comme étant indispensable d’évaluer régulièrement ce que l’on produit.

Pour rappel, les étapes du dialogue social sont les suivantes :

  • Information,
  • Négociation,
  • Consultation,
  • Evaluation.

Repenser la formation :
Si l’on veut remettre le social au cœur de la stratégie de nos entreprises, cela passe d’abord par le fait de lui accorder une place plus importante au niveau de l’enseignement supérieur, que ce soit dans les écoles ou dans les universités. Les jeunes doivent comprendre que le social ne se limite pas aux simples relations entre collègues au sein d’une organisation. Ils doivent pouvoir travailler à inventer de nouveaux modèles d’organisations sociales, ces derniers ayant eu tendance jusqu’à aujourd’hui à être produits uniquement par l’Histoire et par le climat social de notre pays.

Il faut également repenser la formation continue des managers afin de faire du social un domaine de formation stratégique. A ce jour, les délégués syndicaux ont une bien meilleure connaissance du droit social que les managers. Il serait opportun de bâtir des formations communes pour les managers et les représentants du personnel.

Repenser l’entreprise :
Si l’entreprise est un lieu de production de richesses, sa définition doit être enrichie. Elle est avant tout une communauté d’hommes et de femmes qui mettent en commun leur potentiel pour créer à la fois du sens et de la valeur économique. Dès lors, on voit bien que le social revêt un caractère stratégique et que l’entreprise doit prendre sa part dans la recherche de l’intérêt général.

On assiste par ailleurs à une modification du rapport au travail. Ce dernier n’est plus sacralisé. Il n’est qu’une activité parmi d’autres.

On observe enfin une modification du rapport à l’autorité. Cette dernière ne s’impose plus mais se démontre. Le rapport de pouvoir entre les individus apparait davantage comme le résultat d’une co-construction. Le pouvoir se partage, étant entendu que les collaborateurs cherchent de plus en plus à être acteurs du plan de développement de l’entreprise et producteurs de sens. Il faut voir le pouvoir comme un processus indispensable, qui précède une prise de décision. Si le pouvoir se partage, la décision quant à elle ne se partage pas.

Selon Jean KASPAR, l’entreprise doit intégrer l’ensemble de ces mutations pour se transformer.

Pour que l’entreprise se transforme, il est nécessaire de mettre en œuvre plusieurs facteurs clés de succès :

  • Il ne doit pas y avoir de sujets tabous,
  • Il faut accepter de reconnaître la légitimité de l’autre,
  • Il faut admettre que nos convictions, croyances et certitudes sont un prisme déformant,
  • Il convient d’admettre que des questions se posent et qu’elles doivent être traitées par le dialogue,
  • Il est nécessaire d’utiliser la consultation pour enrichir sa propre décision et pour faire progresser l’acceptabilité de la décision, en expliquant et en argumentant,
  • Il faut accepter l’affrontement de logiques différentes,
  • Il faut considérer le dialogue comme un processus au service de la construction partagée ; la conflictualité doit s’apprivoiser avec le dialogue. Il ne faut pas occulter le conflit mais le transcender. Un dialogue ouvert permettra d’augmenter la performance de l’entreprise,
  • Il faut savoir faire des compromis,
  • Il faut comprendre que la concertation est l’idée de prendre en compte ; il s’agit d’un processus de co-construction,
  • Il convient d’être attentif à la place qu’occupent les juristes dans le dialogue social ; celle-ci ne doit pas être trop importante dans la mesure où il faut savoir sortir du cadre.

En matière de social, Jean KASPAR insiste sur le fait qu’il faille accepter de participer à la construction d’une pensée qui est en mouvement permanent. Selon lui, « rien n’est achevé », « rien n’est figé », il faut construire « pas à pas ».

Il convient également de requestionner le concept d’avantages acquis en faisant un point régulièrement sur ses acquis et sur leur validité.

Enfin, il faut se donner l’humanisme comme horizon et garder à l’esprit que la seule richesse qui compte ce sont tous les hommes et les femmes. Dès lors, il convient de faire le pari de l’intelligence. Jean KASPAR nous rappelle ce proverbe africain : « si tu veux aller vite, fais le seul, si tu veux aller plus loin, faisons-le ensemble ».

A propos de Jean KASPAR :

Né en 1941 à Mulhouse, Jean KASPAR a commencé sa vie professionnelle comme apprenti à l’âge de 14 ans. Il est descendu, tout comme son père avant lui, au fond des Mines de Potasses d’Alsace. A l’ambassade de France à Washington où il a été conseillé social de 1993 à 1996, il a gardé un de ces blocs ramassés ; pour, selon ses mots : « se souvenir d’où il venait ».
Avant tout, Jean KASPAR est un homme engagé de la CFDT. Son audace l’amène à avoir un certain regard sur le futur, notamment celui du monde de l’entreprise.
Cette audace ne date pas d’hier.
A 18 ans, il était responsable des jeunes de la CFTC des mines où il travaillait. En 1964, il a fait partie des fondateurs de la CFDT et l’année suivante il est devenu secrétaire général de la fédération des mineurs, à seulement 24 ans. En 1977, il a dirigé l’occupation du Musée automobile Schlumpf à Mulhouse.
A la tête du CFDT du Haut-Rhin, il a succédé à Edmond MAIRE en tant que secrétaire général avant de laisser sa place à Nicolas NOTAT en 1992. Il est l’initiateur de la « stratégie des convergences » destinée à rapprocher les organisations syndicales réformistes en France. Il a ainsi permis les convergences entre la CFDT et la FEN.
Après avoir été conseiller social à l’ambassade de France à Washington de 1993 à 1996, il est devenu gérant de J.K consultant, une société spécialisée en stratégie sociale qu’il a créée en 1997. Il est également Vice-président de l’Observatoire social international, conseiller de la Fondation pour l’innovation politique et conseiller municipal d’opposition à Villeneuve-sur-Yonne.
Auteur de deux ouvrages, « Mon Engagement » publié chez Flammarion en 1994 et « Refondre le syndicalisme » publié chez Gallimard en avril 2001, en tant que syndicaliste de la première heure, il a toujours été animé par la volonté de créer un monde meilleur.