20 juin 2017 : petit-déjeuner du Club de l’Audace avec Daniel HARARI, Directeur général de Lectra

Daniel HARARI n’hésite pas à aller à contre-courant. Quand tous ses concurrents délocalisent en Chine, il renforce son implantation à Bordeaux. En période de crise, il augmente ses prix en misant sur l’innovation et la création de valeur.

Tout au long d’un parcours toujours marqué par l’excellence, Lectra a été pour Daniel HARARI un défi majeur, à la hauteur de ses ambitions.
Aujourd’hui Lectra, numéro 1 mondial pour la découpe de tissus, cuir et textiles techniques, est une success story. Daniel HARARI aime à rappeler que son entreprise est partie de loin lorsque dans les années 90, avec son frère André, il en fait l’acquisition. Le redressement de Lectra a été un véritable parcours du combattant. Les années 80 furent une période tourmentée durant laquelle une introduction en bourse s’est mal déroulée. Au début des années 90, une restructuration totale a été nécessaire, tant les pertes qui se chiffraient en centaines de millions de francs étaient importantes. Daniel HARARI le rappelle : ses trois premiers mois à la tête de Lectra furent marqués par la découverte d’irrégularités et de nombreux problèmes techniques qu’il a fallu résoudre.

Lorsqu’il évoque son processus de décision, Daniel HARARI parle de « démocrature », mélange entre démocratie et dictature. Il y a d’abord le temps de la démocratie durant lequel tout le monde peut donner son avis, discuter celui des autres avec des arguments constructifs. Puis vient le temps de la dictature où quand une décision a été prise il faut l’accepter et l’appliquer. Il est un chef d’entreprise qui recherche le dialogue avec les collaborateurs mais qui n’aime pas le consensus. Il implique beaucoup ses équipes dans toute la période qui précède une prise de décision. Une fois qu’il a décidé, il attend de tous les collaborateurs qu’ils s’alignent pour mettre en place la décision. Daniel HARARI ne regrette jamais une mauvaise décision puisque pour lui il est pire de ne pas décider du tout. Par contre Daniel HARARI insiste sur le fait qu’il faut savoir douter pour prendre des décisions et douter pour persévérer.

Tout au long de son exposé, Daniel HARARI a insisté sur le fait que la prise de décision était le processus le plus important pour restructurer une entreprise et la faire (re)vivre. Il nous a présenté de manière détaillée plusieurs décisions qui sur le moment pouvaient s’avérer difficiles à prendre, mais qui à chaque fois lui ont permis de sauver l’entreprise de la faillite.

  • Au lendemain de son rachat par André et Daniel HARARI, Lectra s’est lancé dans un grand plan de développement qui visait à donner un rôle stratégique au marketing. Si le développement de Lectra reposait historiquement sur les relations privilégiées de l’entreprise avec ses clients, il fallait faire évoluer l’image de marque. La première action marketing majeure a consisté à créer une nouvelle machine de coupe, plus design que l’ancienne. C’est ce nouveau modèle résolument orienté vers l’innovation et le marketing qui a permis à Lectra de se hisser peu à peu au premier rang mondial.
  • Une autre décision importante prise par Daniel HARARI a consisté à remplacer le code de l’ensemble des logiciels de Lectra par un code plus moderne. Même si la mise en place du nouveau logiciel a demandé de faire preuve d’audace, l’adoption n’a pas tardé à être massive partout dans le monde.La politique des revenus récurrents liée à la vente de licences de logiciels et de contrats de maintenance des machines de coupe a permis à Lectra de se développer très rapidement à l’international dans des domaines variés comme celui de la mode ou de l’automobile.
  • Dans les années 2000, la fin des quotas textiles a ouvert la possibilité de vendre en Chine. Les concurrents de Lectra ont peu à peu délocalisé leur production en Chine, créant un phénomène de mode qui a été suivi par beaucoup d’entreprises occidentales. De son côté, Lectra a décidé de rester en France et d’accroitre ses investissements en matière d’innovation. Cette décision fut largement critiquée, la Chine représentant à l’époque un eldorado avec des coûts de production très bas et des marges très élevées. Ce choix stratégique s’est révélé être le bon pour Lectra. Il a été l’occasion de créer une nouvelle génération de machines : des machines de coupe connectées dotées d’environ 200 capteurs, qui peuvent être suivies à distance depuis l’usine et le centre de recherche de l’entreprise à Bordeaux ; des machines avec une maintenance préventive et prédictible, qui fonctionnent 7 jours sur 7 et 24heures sur 24 dans le secteur automobile. Ces machines sont contrôlées en temps réel. Ainsi, alors que ses concurrents sont allés produire à bas coûts en Chine, Lectra est entré dans le secteur des nouvelles technologies sans forcément le savoir. A l’heure actuelle, la Chine est le premier marché de Lectra. La production en Chine coûte aujourd’hui aussi cher qu’aux Etats-Unis et la menace sur la propriété intellectuelle y est importante. Daniel HARARI rappelle, non sans une certaine satisfaction, que la fabrication à Bordeaux coûte à Lectra en moyenne 25% moins cher qu’en Chine. Lectra semble avoir eu raison de ne pas délocaliser sa production et d’opter pour un positionnement résolument premium, qui répond à la demande mondiale actuelle. Lectra est une entreprise qui a su setourner vers un métier de service et de vente de logiciels.
  • En 2000, la société était considérée comme une « Société Internet » et les attentats du 11 septembre 2001 ont marqué une période de recul pour l’activité, suivie d’une chute du cours de bourse. Selon Daniel HARARI, Lectra est une « entreprise cyclique » qui a toujours su faire preuve d’audace dans la prise de décision, surtout durant les périodes difficiles.
  • C’est lors de la crise économique de 2008 que Daniel HARARI a pris une nouvelle décision qui va une nouvelle fois permettre à Lectra de rebondir. L’entreprise s’est repositionnée en augmentant ses prix face à ses concurrents. Ceci a permis à Lectra de poursuivre sa montée en gamme et de devenir premium. La stratégie de Lectra rencontre un grand succès, et en 2009 lors d’une réunion avec ses équipes, Daniel HARARI annonce qu’au contraire de ses concurrents qui licenciaient en masse, l’entreprise n’avait aucun plan de licenciement prévu. Il revient avec une nouvelle stratégie pour Lectra qu’il appelle « Lectra 3.0 ». Celle-ci consiste à se concentrer sur les 300 premiers clients parmi les 23.000 que compte l’entreprise, c’est-à-dire ceux qui peuvent comprendre la montée en gamme de l’entreprise. Entre 2010 et 2012, Lectra procède à un travail de R&D pour améliorer ses performances, puis entre 2012 et 2016, l’entreprise décide d’investir sur des équipes qu’elle envoie sur le terrain partout dans le monde.

La trajectoire de Lectra sur le plan industriel illustre bien l’importance de la prise de décision. L’absence de rigueur qui existait au sein de la société poussa très rapidement Daniel HARARI à réunir tous les cadres : ceux qui ne voulaient pas appliquer ses décisions ont démissionné ; au total 18 des 20 cadres dirigeants sont partis dans les 3 mois qui ont suivi la reprise de l’entreprise par les frères HARARI. La stratégie de Daniel HARARI reposait sur le fait d’être présent dans le monde entier, de couvrir tous les marchés utilisant le tissus, le cuir et les textiles techniques (la mode, l’automobile, l’ameublement…) et de couvrir toute la chaine de valeur de la création à la mise en magasin. Beaucoup de cadres se sont opposés à cette stratégie en pensant qu’elle allait conduire au dépôt de bilan. Pourtant, c’est bien cette stratégie qui a permis le redressement de Lectra qui réalise aujourd’hui un chiffre d’affaires de 260 millions d’euros, avec une recherche et une conception entièrement réalisées en France.Dans le secteur automobile, l’entreprise détient 70% des parts du marché mondial du découpage des airbags.

Concernant la découpe du tissu, elle représente 65% du marché mondial Lectra a forgé toute sa stratégie de développement premium en prenant en compte quatre grandes tendances du marché mondial :

  • L’industrie 4.0,
  • La digitalisation de la supply chain,
  • L’arrivée des millenials connectés, ces jeunes nés entre 1980 et 2000, qui ont une vision différente du monde, qui influe sur leur façon de consommer,
  • La mutation de la Chine qui change toute la concurrence mondiale.

Aujourd’hui, le succès de Lectra en bourse est retentissant, et les salariés de l’entreprise bouillonnent toujours d’idées nouvelles qui rentrent dans le processus décisionnel. Le marketing est quant à lui au cœur de la stratégie de l’entreprise bordelaise qui ne cesse de se perfectionner.
Quand on interroge Daniel HARARI sur sa définition de l’audace, il répond qu’elle permet de prendre des décisions sans prendre en compte l’environnement alentour ou bien un consensus ambiant. L’audace,c’est décider de manière indépendante !

A propos de Daniel HARARI :

Daniel HARARI est ancien élève de l’École Polytechnique et diplômé d’HEC, il a également passé un an à Stanford dans le cadre de son MBA.
Il a débuté sa carrière comme directeur de la société d’études et de gestion financière Meeschaert spécialisée dans la gestion de patrimoine. Il y est resté trois ans entre 1980 et 1983. Il a ensuite été Président-directeur général de deux sociétés qu’il a créées : La Solution Informatique, société de distribution et de services micro-informatiques (entre 1984 et 1990) et Interleaf France, filiale de la société américaine d’édition de logiciels (entre 1986 et 1989).
Parallèlement à ces activités, en 1986, il est devenu Directeur général de la Compagnie Financière du Scribe, société de capital-risque spécialisée dans les entreprises technologiques dont ils étaient, avec son frère André HARARI, les principaux actionnaires. C’est en 1990 que la Compagnie Financière du Scribe pend le contrôle de Lectra. Il devient alors PDG de Lectra. En 1998 il met en place une opération de fusion-absorption entre La Compagnie Financière du Scribe et Lectra.
En 2002 il prend le poste de Directeur général de Lectra et son frère André celui de Président du Conseil d’Administration. En 2017 André décide de revendre ses actions et de quitter Lectra pour se consacrer à sa fondation. Daniel redevient PDG.

En savoir plus à propos de LECTRA.
Téléchargez l’article paru dans le Journal Spécial des Sociétés n°54 du 8 juillet 2017, page 10.