10 mars 2020 : petit déjeuner avec Carine KRAUS, Directrice générale de Veolia Energie France

Carine Kraus (Veolia) : en matière de transition écologique, “il faut être capable de tracer des engagements de valeur”

En mars dernier, le Club de l’Audace était réuni autour de Carine Kraus. La directrice générale de Veolia Energie France voit, dans la transition écologique, le “driver de la transformation des entreprises”.  Le groupe s’est lui-même doté récemment d’une raison d’être et fait bouger les lignes de la gouvernance. 

Après le choc pétrolier dans les années 70 et internet dans les années 2000, la transition écologique est le nouveau moteur de transformation des entreprises, Carine Kraus en est convaincue. L’Énarque en fait son cheval de bataille. Figurant parmi les très (trop) rares femmes à occuper un poste de direction dans le secteur de l’énergie – 1%, comme le souligne Forbes -, la DG de Veolia Energie France depuis trois ans, entrée dans le groupe en 2012 après quelques années au ministère de l’Industrie et de l’Energie, affirme, devant le Club de l’Audace de Thomas Legrain, que l’évolution vers un nouveau modèle économique et social pour répondre aux défis environnementaux devrait ainsi “révolutionner la manière dont les entreprises travaillent et fonctionnent”. 

Et heureusement, car il y a péril en la demeure. Carine Kraus rappelle qu’il fera bientôt 50 degrés l’été à Paris et que les catastrophes naturelles dans le monde iront croissant. “Tous les indicateurs montrent que le sujet ne peut plus être laissé de côté”, estime la directrice générale de Veolia Energie France. 

Flexibilité, captage de CO2, réutilisation des eaux usées… Panorama des outils

Comment la transition écologique peut-elle donc devenir clef pour les entreprises ? 

Sur le fond, en matière de produits et services, Carine Kraus recense plusieurs axes de développement : le sujet “classique” des énergies renouvelables, tout d’abord, avec, notamment, le recours à la géothermie et à la biomasse. Veolia s’est ainsi associée à Renault pour ouvrir, à Tanger (Maroc), la première usine zéro carbone de fabrication d’automobiles, avec une chaufferie biomasse alimentée par des grignons d’olive.

Autre point phare : l’efficacité énergétique, où l’on va chercher à minimiser la consommation d’énergie. Pour ce faire, le groupe propose des systèmes de supervision à distance, des dispositifs intelligents afin de limiter cette consommation, pour l’éclairage entre autres. “On s’engage sur 20% de réduction d’énergie”, commente la DG de Veolia Energie France. Celle-ci évoque à ce titre le concept de “ville résiliente”, une ville “capable d’anticiper les chocs et d’y répondre”, notamment grâce à l’intelligence artificielle, indique-t-elle. 

Outre l’efficacité énergétique, la flexibilité énergétique est également un des grands défis contemporains. Elle consiste à “ajuster l’offre et la demande”, précise Carine Kraus, en faisant coïncider une production fluctuante, à la suite de l’essor des énergies renouvelables, et une consommation de plus en plus importante et variable elle aussi. 

Autre technologie d’avenir : le captage de CO2, évoque-t-elle. Pour faire simple, l’usine capte le dioxyde de carbone qu’elle produit.  

Sur tous ces sujets, “On voit qu’il y a une vraie demande des consommateurs, privés, industriels, tertiaires”, note Carine Kraus.

La directrice générale de Veolia Energie France pointe que les villes vont être confrontées à de plus en plus à de risques, principalement en lien avec la qualité de l’air. Aujourd’hui, 6 millions de personnes meurent de façon prématurée en raison de la pollution. Et si l’air intérieur peut faire l’objet de filtrations, l’air extérieur est extrêmement difficile à manipuler. C’est pourquoi réduire les émissions doit rester le “premier vecteur de développement des entreprises”. 

Parmi les autres thèmes contemporains, l’économie circulaire  est elle aussi au coeur des préoccupations, “avec l’idée que du berceau à la tombe, on recycle le produit”, explicite Carine Kraus. Le plastique fait donc l’objet d’une attention particulière. “Certains pays sont en avance sur ce sujet, comme l’Allemagne : le pays recycle 30% du plastique et espère passer à 60%”. L’Allemagne qui, toutefois, est le troisième producteur européen d’emballages plastiques (ndlr). 

Créée au début des années 1900, la matière a connu un pourcentage de croissance supérieur à celui de l’acier. “Nous avons été élevés dans une culture du plastique”, souligne Carine Kraus. Les chiffres sont édifiants : en 2017, l’humanité avait déjà produit 9 milliards de tonnes de plastiques non biodégradables, dont 150 millions tapissant le fond des océans. D’ici 2050, il pourrait ainsi y avoir plus de plastique que de poissons dans l’eau. “On travaille beaucoup, chez Veolia, sur la protection des océans”, assure la DG Energie France. Le groupe soutient notamment Plastic Odyssey, pour transformer la pollution plastique des océans en énergie.

L’économie circulaire, outre le recyclage du plastique, c’est aussi la réutilisation des eaux usées, notamment pour faire de l’énergie, ajoute-t-elle. À Marseille, Veolia chauffe les bassins du Cercle des Nageurs grâce à une solution qui permet de récupérer la chaleur issue des eaux usées, en détournant une partie de celles-ci vers un échangeur thermique.

L’eau peut donc être réutilisée, mais aussi dessalée. En Arabie Saoudite, où les ressources en eau sont rares, les usines de dessalement permettent d’approvisionner les habitants en eau douce. Néanmoins, l’essor de cette technologie n’est pas sans impact sur l’environnement, puisque de grandes quantités de saumure, produit chimique utilisé dans le traitement de l’eau, sont rejetées dans l’environnement, alertaient Les Echos dans un article de janvier 2019 (ndlr). 

Carine Kraus n’oublie pas non plus de mentionner l’agriculture durable ; une nécessité, au vu de l’explosion démographique. En 1820, la Terre comptait 1 milliard d’individus. Or, “Nous serons 9 milliards en 2050, et la demande agricole sera de 50% supérieure, sachant que l’agriculture est le premier consommateur d’eau (60%) et d’énergie (30%) au monde. Il faut donc être capable de faire manger sans piller notre planète”. 

A côté de l’agriculture urbaine, des entreprises se spécialisent dans les engrais durables, ou encore dans la production de farines produites à partir larves d’insectes pour nourrir les animaux. “Désormais, 50 entreprises en France sont spécialisées sur ce sujet qui présente un fort potentiel de développement”, assure Carine Kraus. 

Au cœur de la transition, la révolution de la gouvernance

La transition écologique transforme donc le rapport des entreprises aux consommateurs, et change les manières de faire. Cela s’observe également dans la révolution de la gouvernance, qui prend une acception plus large, constate Carine Kraus : “Il y a une envie de plus de transparence, de collaboration, de discussion. Les entreprises prennent davantage en compte les parties prenantes ; elles cherchent à davantage associer leurs clients, fournisseurs et employés à leurs décisions”. La DG Energie France s’en réjouit : Veolia s’est montré “précurseur” en la matière, puisque cela fait 10 ans que le PDG associe largement ses parties prenantes. 

Le groupe a aussi recours à des “critical friends”, un concept bien à la mode chez les anglo-saxons. Il s’agit d’experts issus de divers milieux et spécialistes des sujets sociaux et environnementaux, extérieurs à l’entreprise, qui se rendent plusieurs fois par an sur place pour observer ce qui s’y passe et donner un avis sur la stratégie instaurée. Une aide que Carine Kraus juge “très utile”. D’autres entreprises mettent en place de leur côté des shadow comex ; des comités de direction juniors (moins de 35 ans), pour conseiller les dirigeants parfois en décalage avec la révolution numérique. “Nous sommes beaucoup à nous dire qu’il faut aujourd’hui trancher de manière intelligente – même si, à la fin, il n’y a bien sûr qu’un seul décisionnaire” . 

Dans la même lignée, les entreprises commencent à se doter d’une raison d’être. A l’instar de Veolia, qui s’est donné pour mission, en 2019, de « Ressourcer le monde », ouvrant (avec d’autres) la voie.  

Le groupe a également inscrit, dans son plan stratégique 2019-2023, des indicateurs de performance à l’égard de ses parties prenantes et de la société : diminution des émissions de CO2, chiffre d’affaires dans le recyclage du plastique, taux de satisfaction des clients… Et les bonus des 500 premiers cadres dépendent désormais de ces indicateurs. “C’est une révolution dans les équipes, cela ne signifie plus être focalisé sur des résultats mais sur des objectifs. C’est un moyen de faire avancer les choses, de vérifier que les actes sont raccord avec les engagements”, met en exergue Carine Kraus.

Une manière donc de ne pas tomber, estime-t-elle, dans le greenwashing : “Cela peut être facile de s’acheter une conscience écologique à bas prix, mais il faut être capable de tracer des engagements de valeur”. 

Le greenwashing, c’est justement ce dont a plusieurs fois été accusé BlackRock, plus grand gestionnaire d’actifs dans le monde. La multinationale, qui s’est prononcée parmi les premières dans ce domaine en faveur des critères ESG (Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance), a pris position, en février dernier, contre la politique anti-climatique de Siemens, dont elle est actionnaire, en critiquant son bilan environnemental et son implication dans une mine de charbon en Australie. Simplement des mots en l’air ? Carine Kraus estime de son côté que BlackRock est bien déterminé à rendre “ses investissements plus durables”. Dans sa lettre annuelle à ses clients et aux chefs d’entreprise, son PDG, Larry Fink, a en tout cas indiqué qu’il allait dès cette année offrir des versions durables de ses portefeuilles et de ses fonds d’allocation d’actifs (ndlr).

Bonne nouvelle donc que cette mobilisation du monde de la finance, selon Carine Kraus, qui juge qu’“Il est primordial que les actionnaires soient eux aussi concernés par un sujet d’une telle importance”.

De façon générale, les entreprises sont de plus en plus nombreuses à être persuadées qu’elles ne peuvent pas prospérer si elles ne sont pas utiles, “si personne ne pense que l’entreprise apporte du positif au territoire”, considère-t-elle. Selon elle, cette responsabilité sociale doit absolument s’appuyer sur les taux d’intérêt historiquement bas actuellement pour que les sociétés effectuent leur transition. “Le futur et le présent ont la même valeur”, a-t-elle estimé. “On entend beaucoup dire que le monde court à sa perte, que c’était mieux avant… Certes, la situation est compliquée, mais il y a des prises de conscience, il existe des solutions. On a des moyens de transformer notre business model tout en étant rentables”. 

Bérengère Margaritelli

Téléchargez l’article paru dans le Journal Spécial des Sociétés n°55 du 16 septembre 2020, page 10-11

A propos de Carine KRAUS

Carine KRAUS est diplômée de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, de l’ESSEC et de l’ENA. A sa sortie de l’ENA en 2005, elle intègre la Direction du Trésor, où elle a en charge la réglementation des marchés financiers et exerce les fonctions de Commissaire du Gouvernement auprès de l’Autorité des Marchés Financiers.

Elle rejoint ensuite l’Agence des Participations de l’Etat en 2007, où elle a pour mission le suivi du groupe La Poste, de La Banque Postale et de CNP Assurances. Carine KRAUS a notamment en charge le changement de statut juridique de La Poste, son ouverture de capital et la définition du Plan stratégique de La Banque Postale.

Puis, Carine KRAUS part en cabinet ministériel entre 2009 et 2012, où elle sera Directrice de cabinet adjointe du Ministre de l’Industrie et de l’Energie (Christian ESTROSI puis Eric BESSON).
Carine KRAUS rejoint le secteur privé en septembre 2012 en devenant Directrice de cabinet du PDG de Veolia, Antoine Frérot. Elle travaille notamment sur les activités opérationnelles du Groupe en devenant Directrice générale adjointe de Veolia Energie France en 2015, puis Directrice générale de cette même filiale en juillet 2017.

Carine KRAUS dit que Veolia l’a attiré pour son fort lien avec les territoires et pour le fait que les trois grands métiers du Groupe (l’eau, les déchets, l’énergie) sont fortement liés au quotidien des citoyens, des villes, des associations. C’est cet impact fort de Veolia sur l’ensemble des parties prenantes qui l’ a séduit.

Carine KRAUS est également administratrice et Présidente du Comité d’audit de la SEMMARIS (société du Marché de Rungis), membre du Conseil supérieur pour l’attractivité de la Région Ile-de-France co-présidé par Valérie PECRESSE et Christian STREIFF, ainsi qu’administratrice de l’association Prométhée, qui œuvre pour l’égalité des chances à l’école en Seine Saint-Denis.