Anticiper un nouveau monde pour lui donner naissance

Bernard DEVERTL’absence de lien n’est pas indifférente à ces ondes de chocs violents et si fréquents que la mémoire, criblée à la vitesse de l’information, n’en garde pas trace ou si peu.
Le lien entre les êtres est oublié ; il est pourtant un trésor à portée de cœur pour être l’expression d’une bienveillance, d’un sourire, d’une main vers l’autre qui, rencontré et non croisé, existe comme personne.
Les violences sont d’autant plus permissives que l’autre est considéré comme un objet insignifiant. Le passage au respect, seul, fait naître une relation humaine ou l’autre est un sujet.
Le Docteur Albert Schweitzer demandait que chacun s’efforce, dans le milieu où il se trouve, de témoigner à l’autre une véritable humanité. C’est de cela ajoutait-il que dépend l’avenir du monde.
Dieu a le visage des insignifiants. Il est pourtant le Tout-Autre.
La Bonne Nouvelle nous rappelle que le Fils de l’Homme s’identifie au captif, à l’étranger, à celui qui est nu, qui n’a rien jusqu’à se considérer comme rien. « Ce que vous avez fait aux plus petits d’entre les miens, c’est à moi que vous l’avez fait ».
Cette perspective, si elle emporte l’adhésion, crée un lien d’humanité. Comment s’en étonner, le divin n’est étranger à rien de ce qui est humain.
Ce lien à l’autre en état de fragilité ne saurait rester un engagement théorique. Il appelle un changement à la hauteur du bouleversement qui saisit, lorsque celui qui est différent est reconnu dans une relation de fraternité.
Une telle approche ne saurait être remise à demain, tant l’urgence s’impose de bâtir une Société plus cohérente, par-là même plus humanisée.
Cette humanisation ne s’opère que dans l’attention à la vulnérabilité, d’où l’observation des spirituels de toute confession, soulignant le fait que les plus fragiles se révèlent maîtres en humanité.
Aussi convient-il de maîtriser l’économie. Folie de constater qu’en une séance de Bourse un des hommes les plus riches du monde gagne deux milliards d’euros. La bourse pour l’un, mais quelle vie pour tant d’autres.
Il est vraiment urgent de s’inquiéter d’offrir à la finance un rôle de servante. Alors une économie plus positive s’ensuivra. J’entends le risque d’être taxé d’utopie ou d’un idéalisme « imbécile », pour refuser que la richesse des uns, entraîne la richesse des autres. Est-ce si vrai ?
Il existe une économie dénommée sociale et solidaire. Elle a fait ses preuves pour remettre debout des hommes et des femmes au bord du chemin, blessés par la vie.
Le ressort de cette économie brise les discriminations, les ségrégations, fait tomber des frontières, observant que riches et pauvres y concourent.
Il est nécessaire qu’elle se développe davantage pour créer cette part manquante à toute humanité ; or, cette forme d’économie ne manque pas son objectif : rechercher un bénéfice non point d’abord pour se le partager, mais pour en faire bénéficier ceux qui se considèrent comme perdus, rejetés.
Sans cette souscription à l’épargne solidaire, Habitat et Humanisme n’aurait jamais logé près de 22 000 familles fragilisées dans des quartiers équilibrés, libérant ainsi les cités difficiles qui, confrontées à la précarité et à la misère, sont en situation d’échec même si des forces vives, absolument remarquables, suscitent des ouvertures encourageantes.
Relier le concret de la vie à la recherche de ce qui est idéal, sans pour autant l’atteindre, n’est-ce pas signe d’une humanité qui ne s’égare pas de sa responsabilité à l’égard de cette interrogation multimillénaire : « Qu’as-tu fait de ton frère » ?
Cette inquiétude sereine ne peut que donner naissance à des liens répondant aux attentes voilées qui ne demandent qu’à exister. Il nous appartient de faire surgir l’anticipation de ce monde espéré pour qu’il soit enfin.

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